Dans la lignée des politiques culturelles que nous menons depuis plusieurs années, la Bibliothèque de la Résistance est le projet le plus monumental et le plus fou. Construite en novembre 2059 et inspirée de la bibliothèque d’Alexandrie, la bibliothèque propose des contenus littéraires au format papier pour les quelques livres qui ont pu être sauvés des séries d’autodafés ou expédiés clandestinement par des pairs depuis l’étranger, mais surtout du contenu au format digital, des salles de classe pour suivre des cours prodigués par des résistants anciens professeurs. Ce repère considéré comme “hérétique”, comme un tiers-lieu ouvert à une pratique “anti-sociale” doit être protégé.
Pour cette raison, la bibliothèque ne reste jamais au même endroit et l’équipe fondatrice a mis en place un système dynamique de localisation des portes pour y accéder afin d’en garantir la sécurité. Par ailleurs, le système de sécurité peut détecter les intrus, la porte en question qui aurait dû mener à la Bibliothèque est immédiatement désactivée et l’accès à la bibliothèque est condamné. Ces personnes continuent leur chemin comme si de rien n'était.
Le gouvernement, corrompu, a remplacé la culture par de la propagande continue. Autrement dit, le gouvernement a éliminé la culture et le patrimoine français, sauf à des fins de contrôle de ses citoyens ; pour faciliter la démarche, il a paru “naturel” de s’en prendre aux livres qui portent et proposent un regard contraire au système politique et à ses “valeurs”. Depuis, la Résistance lutte pour diffuser des discours et des enseignements contraires à la doctrine de l’Etat. La Résistance reconnaît l'importance de conserver, de pratiquer, d’échanger autour de ces ouvrages et leur enseignement. Pendant les premières années de totalitarisme, des membres de la Résistance ont travaillé ensemble pour créer un espace d’échange et de co-construction de la connaissance, où les œuvres d'histoire, de pensée politique, de pensée religieuse, de science, de fiction, et d'autres sujets se mêleraient : la Bibliothèque.
Le projet d’élimination de toute la littérature a été inattendu et rapide. Sous prétexte d’une action de politique culturelle visant à améliorer, doter et mettre à jour la qualité des livres dans les ménages français, les autorités gouvernementales françaises se sont rendues dans chaque ménage français muni d’un scanner afin de scanner et lister toutes les œuvres détenues par la famille. Les livres « interdits » par le régime ont alors été liste et ont été immédiatement réquisitionnés pour être brûlés. Nous ne l’avons appris que trop tard. Finalement la littérature accessible ne résume plus qu’à des livres de propagande autorisés par le régime. Les livres interdits que nous n’avons pas pu sauver existent encore en dehors de la France. Grâce aux services littéraires électroniques comme Kindle, la Résistance est parvenue à reconstituer de nombreuses collections d'œuvres. La base de données est mise à jour à chaque nouvelle publication dans le monde. Notre objectif est de préserver ces œuvres pour assurer aux futures générations l’accès à ce trésor que nous avons failli perdre.
« Je me souviens des soirées passées sous des épaisseurs et des
épaisseurs de couette à lire des livres “interdits” à la lueur
d’une petite lampe, de sorte qu’aucune rai de lumière ne
soit captée de l’extérieur. Je me souviens de ce livre, Fahrenheit
451 de Ray Bradbury que j’avais lu à l’âge de 12 ans lorsque mon
père avait encore tous ces livres cornés et aux odeurs de café,
rangés tels des monolithes dans sa bibliothèque, aujourd’hui
disparue. L’histoire est celle d’une société où la lecture, source
de réflexion et de progrès, est considérée comme un acte
antisocial, au point qu’un corps spécial de pompiers est chargé de
brûler tous les livres dont la détention est interdite pour le
bien collectif. Ce non-sens m’avait complètement bousculée, je ne
saisissais pas l’urgence des mots mais je me souviens avoir pleuré
à la première lecture. Je me souviens avoir essuyé rageusement mes
larmes, me moquant de ma bêtise. Et pourtant, nous sommes arrivés
à ce point aujourd’hui où, vouloir apprendre et poser des
questions sont synonymes de péchés. Mon petit frère a été
embrigadé dans ces écoles de Thélème à l’âge de 5 ans. Mes parents
ont réussi à le préserver 2 années de plus par rapport aux 3 ans
réglementaires. J’ai été bouleversée par son absence de culture
générale ; obligée de refouler sa curiosité il a cultivé avec
rancœur et tristesse ce sentiment de vide laissé par l’absence de
culture. Ayant fêté mes 21 ans le jour de la promulgation du
nouveau programme du ministère de l’éducation, j’ai survécu à ce
drame. Ce que j’en retiens c’est à quel point le destin des hommes
est lié à celui des livres : « là, où on brûle des livres, on
finit aussi par brûler des hommes », disait Heinrich Heine. A
chaque livre brûlé, c’est ma colère qu’on l’on attisait. Il
fallait agir. A la place de reprendre la solution évoquée dans le
livre : poster des hommes pour qu’ils apprennent par cœur des
livres dans un souci antiquaire afin de ne pas perdre la trace de
la narration, nous avons construit la Bibliothèque de la
Résistance, puisque « les hommes ont inventé le livre pour
soulager leur mémoire. Ce qu’ils déposent dans les livres, c’est
ce qu’ils veulent conserver » (Georges Duhamel). J’ai souhaité
participer à ce projet pour que l’humain continue de progresser en
produisant la connaissance ensemble. Ça, jamais ils ne pourront
nous l’enlever. »
Un des fondateurs de la Bibliothèque de la Résistance, Mowervi_